

Le 24 février 2022, aux alentours de 4 h 30 lorsque les premiers bombardements russes frappent l’Ukraine, je me trouvais à Kramatorsk, dans le Donbass, avec mon collègue de Libération. Nos sacs étaient déjà prêts, nous sommes immédiatement sortis de nos chambres et avons demandé à la réceptionniste où était l’accès au sous-sol pour s’y abriter. Elle ne savait plus où étaient les clefs et ne semblait pas réaliser ce qui se passait. Quelques heures plus tard, nous étions sur la route vers Kyiv, la capitale ukrainienne, une ville que nous connaissions bien. Hélas, elle ne serait plus la même quand nous y arriverons.
Depuis, j’ai passé 7 mois dans le pays de février 2022 à janvier 2023 pour le journal Libération puis principalement pour Le Monde. Au fil des saisons, d’est en ouest, du nord au sud, j’ai travaillé dans plus d’une trentaine de localités. Mes premiers reportages en Ukraine remontent à 2014 pour les manifestations de l’Euro-Maïdan. Jusqu’en 2019, je me suis attaché à documenter la situation sur le long terme. Il me paraissait déjà important de rendre compte de l’histoire complexe de ce pays aux marches de l’Europe.
La résistance, l’organisation citoyenne, le dévouement, la résilience des Ukrainiens ont frappé le monde entier au début de l’invasion. Pour moi, elles sont en fait, l’aboutissement d’un processus commencé 8 ans plus tôt. Toute cette énergie était déjà à l’œuvre en 2014, tant à Kyiv que dans le Donbass. Mais aujourd’hui, elle se trouve décuplée mille fois, se propageant à travers tout le pays et forgeant l’unité d’une nation indépendante depuis une génération.
Dans un conflit, la question de l’habitat est vitale. La population s’est créé une nouvelle existence, vivant sous terre des mois durant dans les villes où le grondement des bombardements est devenu quotidien. Les bâtiments changent de fonction au fil du temps, les écoles deviennent des centres de distribution de biens humanitaires ou des centres d’accueil, les wagons de train se transforment en hôpitaux ou en hébergement temporaires, les stations de métro des abris anti-bombe. Devoir quitter sa maison à cause des combats ou parce qu’elle a été détruite par un orage d’acier et une situation que personne ne souhaite. Mais espérer revenir chez soi et reconstruire bien que la vie d’avant ait volé en éclat est un souhait qui est cher à chacun et chacune durant son exil.
Raconter la guerre est une façon de dépeindre la peur et l’effroi que vivent les gens. C’est aussi relater des faits, des histoires pour qu’on ne puisse pas les oublier, dire qu’on ne savait pas.
Une des particularités de ce conflit est la rapidité avec laquelle les municipalités ou même certaines personnes ont justement entrepris de reconstruire les maisons et les infrastructures détruites. À Bucha, à la périphérie de Kyiv, où j’ai travaillé longtemps, on ne s’aperçoit pas toujours que la guerre est passée par là tant chacun s’efforce d’en effacer les traces.